Laissez mon sexe tranquille

Depuis un peu plus d’un an, je suis papa. Pendant la grossesse, on avait décidé avec madame de ne pas connaître le sexe du bébé. C’est un choix pas si courant qui nous convenait bien. Mais je me suis rendu compte à quel point la question du sexe d’un futur enfant semblait importante pour tout le monde. « C’est une fille ou un garçon ? » était la deuxième question que j’entendais le plus souvent, juste après « C’est prévu pour quand ? » et juste avant « Non mais vous êtes stupides pourquoi vous ne voulez pas savoir ? ». Souvent, les gens souhaitaient savoir pour offrir un cadeau, ou juste par curiosité. Je me suis rendu compte à quel point, avant même notre naissance, notre sexe était déterminant. Et c’est parfois le cas dans les interfaces que l’on conçoit ou que l’on utilise.

Le mois dernier, j’ai assisté à une conférence marketing où il était présenté fièrement une application de suivi de grossesse permettant de personnaliser la couleur de l’interface.

[Parmi les facteurs clés de succès de notre application], il y a tout d’abord une qualification progressive. On demande un minimum de renseignements à l’inscription. Et à chaque fois qu’on demande un renseignement à la maman, c’est avec la création de valeurs. Par exemple, dire « est-ce que c’est une fille ou un garçon » pour configurer l’appli dans un mode rose ou bleu.

J’ai failli tomber de ma chaise en entendant ce cliché. Je suis vraiment mal à l’aise avec le fait d’associer une couleur au sexe d’un individu.

Je crois que la meilleure illustration à ce sujet est celle de Cy Chase (refaite plus tard par Kristen Myers, sans attribution, ce qui a causé toute une histoire comme je les aime).

How to tell if a toy is for boys or girls. A guide. Do you operate the toy with your genitals ? No -> It is for either boys or girls.

Comment dire si un jouet est pour les garçons ou pour les filles. Un guide.
Est-ce que le jouet s’utilise avec vos parties génitales ?
Oui : Ce n’est pas pour les enfants.
Non : C’est aussi bien pour les garçons que les filles.

Est-ce qu’une couleur a un rapport avec vos parties génitales ?
Oui : Vous devriez aller voir un docteur.
Non : C’est aussi bien pour les garçons que les filles.

La personnalisation de la couleur d’une application est une option intéressante. Mais elle ne devrait pas se faire de manière automatique en fonction du sexe déclaré par l’utilisateur. Une meilleure option serait de laisser à l’utilisateur le choix de la couleur, indépendamment de tout le reste.

En clair, on ne suppose pas quelque chose en fonction du sexe de quelqu’un.

Je rencontre parfois des suppositions de ce genre dans certaines newsletters ciblées homme ou femme. En m’étant inscrit à une newsletter et en ayant précisé ma civilité, on m’attribue automatiquement une newsletter avec des vêtements masculins. Mais je pourrais très bien avoir voulu m’inscrire à cette newsletter en étant intéressé par les vêtements féminins. Juste parce que je suis un homme ne signifie pas que je suis intéressé uniquement par vos produits pour homme. La marque Zara gère ça plutôt bien sur sa page d’inscription à la newsletter en demandant clairement les sections qui m’intéressent.

Le formulaire d'inscription à la newsletter de Zara demande les sections qui m'intéressent.

En 2013, un an avant la présentation de la première Apple Watch, de nombreuses rumeurs suggéraient qu’Apple sortirait deux modèles avec deux tailles d’écrans : « 1,7 pouces pour les hommes et 1,3 pouces pour les femmes ». En septembre 2014, Apple a bien annoncé deux modèles d’Apple Watch dans deux tailles différentes. Mais jamais ils n’ont attribué ces tailles à un sexe.

Capture d'écran du site d'Apple et du choix d'une Apple Watch

Le site d’Apple propose le choix entre un boîtier 38 mm ou 42 mm. À aucun moment n’est associée la taille d’un boîtier et un sexe (même sur la page « Quelle taille de boîtier vous convient le mieux ? »).

Est-ce qu’une montre s’utilise avec vos parties génitales ?
Oui : Rappelez moi de ne jamais vous demander l’heure.
Non : C’est aussi bien pour les garçons que les filles.

Depuis Pokémon Cristal (sorti en 2001 en France), les jeux Pokémon demandent au joueur :

Ceci étant dit… Es-tu un garçon ou une fille ?

Capture d’écran du jeu Pokémon X (sorti en 2013)

Es-tu un garçon ou une fille ?

Le choix influe alors le personnage interprété par le joueur ou la joueuse tout au long du jeu. La phrase est devenue célèbre et a donné lieu à de nombreuses moqueries. Dans Pokémon Soleil et Pokémon Lune, sortis le mois dernier, le jeu a adopté une approche un peu différente.

Finie la demande de sexe, on a désormais droit à une série de photos avec comme question « C’est laquelle ta photo, déjà ? ». Je trouve cette approche beaucoup plus inclusive.

Si l’on ne suppose pas quelque chose en fonction du sexe de quelqu’un, l’inverse est aussi vrai. On ne suppose pas le sexe de quelqu’un en fonction de quelque chose. En août dernier, j’avais retweeté le tweet suivant de Mike Riethmuller :

J’ai rencontré quelqu’un de nouveau dans le développement web qui a appris ce qu’est flexbox avant un clearfix. Juste au cas où vous n’auriez pas réalisé que le web a changé.

Plusieurs réponses à ce tweet supposaient que ce « quelqu’un de nouveau dans le développement web » était un homme (comme ici ou ). Sans aucune animosité, l’auteur du tweet initial prenait le temps de répondre pour préciser qu’il n’avait jamais dit que c’était un homme.

De la même manière, je suis tombé suite à mon dernier article sur ce commentaire de Jenn Schiffer répondant à un de ses articles satiriques.

Brian : J’espère vraiment que quelqu’un de nouveau dans le développement ne tombe pas là-dessus et fasse de lui quelqu’un d’inemployable dans la plupart des sociétés pour vouloir penser un peu trop loin dans le futur.

Jenn : Ou d’elle !

J’aime l’idée que ces genres de petits détails participent à rendre le web (et les milieux tech en général) plus inclusifs. Il y a des hommes qui portent du rose. Il y a des femmes qui portent du bleu. Il y a des hommes aux cheveux longs. Il y a des femmes aux cheveux courts. Il y a des hommes qui se reconnaissent plus comme des femmes. Il y a des femmes qui se reconnaissent plus comme des hommes. Que vous trouviez ça étrange ou que vous soyez à l’aise avec ça ne change rien au fait que cette diversité existe, et que le mieux que l’on puisse essayer de faire est d’en tenir compte.

« No one expects the lady code troll »

Entre deux expériences en ligne bizarres, Jenn Schiffer est l’auteure de CSS Perverts, un blog satirique sur le développement Web. Dans cette conférence (vue sur Twitter), elle partage son retour de l’écriture d’articles techniques satiriques, et surtout les retours parfois violent qu’elle reçoit. C’est vraiment drôle, tant sur le fond que la forme, et ça donne à réfléchir.

Elle revient notamment sur un tweet de Jeffrey Zeldman dénonçant son article (pris au premier degré) qui déclencha une vague de retours.

À cette époque, peu de gens passaient du temps à se moquer d’à quel point notre industrie est ridicule quand il s’agit de se prendre au sérieux. Ou des ramifications quand vous oubliez que vous avez des centaines de milliers de followers et que peut-être que lorsque vous publiez quelque chose comme ça, les gens vont s’amonceler et en rajouter encore davantage. Beaucoup de gens avec un auditoire, parfois moi-même, restent étrangement inconscients de ce pouvoir.

J’avais déjà raconté une anecdote m’étant arrivée à ce sujet. J’essaie d’appliquer au jour le jour la maxime « Arrêtez de rendre des gens stupides célèbres ». Si je vois un article que je trouve stupide (comme récemment un article présentant comme la bonne façon de faire du responsive en créant des dizaines de points de rupture par appareils, et non par le contenu comme on le rabâche depuis cinq ans), je ne le partage pas. Non pas parce que j’ai la prétention de croire que tout est à jeter, il y a souvent quelque chose d’intelligent même dans l’article le plus naïf, mais parce que je crains la réaction d’autres.

Le reste de sa conférence est vraiment tout aussi bien, sur l’inclusivité dans notre industrie et comment ne pas réagir comme un idiot aux contenus créés par d’autres en ligne.

Sherlock Holmes

Vue sur Reddit, la page affichée par Google Maps si on n’a pas JavaScript.

"When you have eliminated the JavaScript, whatever remains must be an empty page."

When you have eliminated the JavaScript, whatever remains must be an empty page.

En référence à une citation de Sherlock Holmes :

Une fois qu’on a éliminé l’impossible, ce qui reste […] doit être la vérité.

Ça pourrait être un clin d’oeil rigolo si ce n’était pas un triste état des lieux du Web.

Entre les accolades

Lu chez Jeremy Keith, un très chouette résumé de CSS :

Dans un article intitulé « Side Effects in CSS » écrit il y a quelques temps, Philip Walton parle des différents challenges de l’écriture de CSS :

Il y a deux types de problèmes en CSS : les problèmes cosmétiques, et les problèmes architecturaux.

Les problèmes cosmétiques sont résolus en faisant ressembler quelque chose à ce que vous voulez. Les problèmes architecturaux sont plus plus délicats car ils ont plus des effets sur la maintenabilité sur le long terme, la modularité, l’encapsulation. […]

La plupart du temps, quand j’analyse des CSS et que j’essaye de déterminer si elle sont bien ou pas (et je sais que c’est très subjectif), je suis préoccupé par ce qu’il y a en dehors des accolades.

selector {
    property: value;
}

Le contenu à l’intérieur des accolades (les propriétés et leurs valeurs), c’est là où les problèmes cosmétiques sont résolus. C’est aussi le contenu que vous pouvez facilement rechercher. Je ne retiens certainement pas toutes les propriétés et valeurs possibles en CSS dans ma tête. C’est aussi facile à évaluer : est-ce que ça fait ressembler le truc à ce à quoi vous voulez que ça ressemble ? Oui ? Bien. Ça fonctionne.

Le contenu à l’extérieur des accolades (les sélecteurs), c’est plus difficile à juger. Il faut l’évaluer avec beaucoup de « et si ». Et si cela cible quelque chose que vous n’aviez pas l’intention de cibler ? Et si le balisage change ? Et si quelqu’un d’autre écrit des CSS qui annulent ça ?

En décembre, écrivez et partagez vos articles avec le hashtag #nowwwel

Il n’y aura pas de 24 jours de web cette année. Ce n’est pas une phrase très rigolote à écrire. Mais j’en suis le principal fautif. J’étais plein d’idées pour lancer cette cinquième édition du « calendrier de l’avent des gens qui font le web d’après ». Cet été, j’avais même sollicité mon confrère Christophe pour retravailler la charte du site. Cette année, j’étais aussi accompagné dès le départ de Mylène, Brice et Vincent (qui m’avaient porté secours l’an dernier pour que tout puisse être prêt à temps). On avait plein de bonnes idées sur des personnes qu’on aurait aimé inviter à écrire.

Et puis j’ai tardé à lancer l’appel à auteurs, le 17 octobre seulement (contre le 7 septembre l’an dernier). Le tweet a été aussi bien relayé que l’an dernier (20110 impressions en 2015 contre 20540 impressions en 2016, d’après les statistiques de Twitter). Mais cela n’a pas suffit à réunir suffisamment de propositions d’articles (19 contre 67 l’an dernier). Après avoir annoncé ça sur Twitter, beaucoup de gens se sont proposés pour venir en secours et écrire quelque chose. C’est cool. Ça fait vraiment chaud au coeur de voir que le projet tient à coeur à énormément de monde.

Mais je manque malheureusement de temps. 24 jours de web est un projet qui prend énormément de temps. Les années précédentes, j’y consacrais au minimum une à deux heures par jour entre novembre et décembre. Cette année, pour plein de raisons personnelles, c’est un miracle si j’arrive à me dégager une heure par semaine pour me consacrer à ce projet. Ce n’est même pas suffisant pour déléguer des tâches pour que le projet puisse avancer. Je n’ai pas envie de sortir une nouvelle édition pour dire de sortir une nouvelle édition. Je n’ai pas envie que les auteurs doivent se précipiter à écrire leurs articles parce que je ne leur ai pas laissé assez de temps. Je n’ai pas envie que tout ça se passe dans la douleur, sous la contrainte, sous la pression.

Alors il n’y aura pas de 24 jours de web cette année.

Mais qu’à cela ne tienne !

Profitons de cette pause pour faire les choses autrement. Un des objectifs de 24 jours de web a toujours été de motiver la communauté des concepteurs et conceptrices web francophones à écrire en français. S’il y a pléthore d’articles en anglais, je suis convaincu qu’il n’y aura jamais assez d’articles en français sur nos métiers. J’ai commencé à faire du web adolescent, à une époque où mon niveau anglais ne me permettait certainement pas de comprendre et d’assimiler des articles techniques complexes. Écrire en français, c’est un bon moyen de donner le goût du web aux francophones qui nous entourent au quotidien.

Alors écrivons !

Écrivons sur les sujets autour de la conception Web qui nous tiennent à coeur. Intégration, développement, graphisme, rédaction, gestion de projet, … Peu importe votre coeur de métier, que vous soyez étudiant ou professionnel depuis vingt ans, vous avez surement quelque chose à raconter. Une anecdote sur un projet que vous avez réalisé, un coup de coeur pour quelque chose que vous avez découvert cette année, un coup de gueule contre une tendance qui vous énerve. Ou alors cette idée d’article qui vous trotte depuis beaucoup trop longtemps en tête. Vous avez forcément quelque chose à raconter.

Entre le 1er et le 24 décembre 2016, publiez votre article en ligne. Si vous avez un blog à vous, c’est cool. Sinon vous pouvez en créer un gratuitement sur Medium, WordPress.com, Tumblr ou encore Telegra.phVous pouvez aussi toquer à la porte de sites participatifs comme Alsacréations, OpenWebGroup, Putain de code !, Les IntégristesLa Ferme du Webletrainde13h37, Pompage, Grafikart, Creative Juiz, Webdesigner TrendsZeste de savoirOu alors faites ça sur Github Pages, Mozilla Thimble, ou CodePen. Ce qui compte, c’est de publier.

Afin d’éviter que tout le monde ne publie le même jour, j’ai mis en place un sondage/calendrier sur Framadate. Si vous avez l’intention de participer, indiquez votre nom ou pseudonyme, et choisissez une date à laquelle vous aimeriez publier votre article.

Enfin, partagez votre article sur Twitter avec le hashtag #nowwwel. Et laissons le web faire le reste. En suivant #nowwwel tout le mois de décembre, j’espère sincèrement qu’on aura le plaisir de découvrir des dizaines de nouveaux articles intéressants.

Il ne tient qu’à nous de participer. En ce qui me concerne, j’ai déjà au moins une idée d’article à écrire (pour occuper ma seule heure de libre par semaine).

Et vous ?

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