Un bon concepteur web est un bon utilisateur

Il y a 6 ou 7 ans, dans la première agence web dans laquelle j’ai travaillé, l’équipe de graphistes a failli me rendre fou. J’avais l’impression que la plupart d’entre eux avaient une culture web proche du néant. Digg ? « Jamais entendu parler, c’est quoi ? » LaFraise ? « Un site de bonbons ? » 37signals ? « Combien de quoi ? » Et encore aujourd’hui, il n’est pas rare que je lise des commentaires de personnes travaillant dans le web se vantant fièrement de ne jamais avoir eu de compte Facebook, ou de ne pas avoir de smartphone. Je trouve ça fou.

Selon moi, pour être un bon concepteur web, vous devez être un bon utilisateur. Et ce, que vous soyez chef de projet, graphiste, développeur, intégrateur, etc.

Être un bon utilisateur, c’est avant tout être curieux. C’est ne pas rechigner à s’inscrire sur un site, ou à installer une nouvelle application pour remplacer votre IDE ou votre logiciel de retouche photo habituel. En tant qu’utilisateur, vous allez peut-être faire de très bonnes découvertes, ou au contraire tomber sur des expériences exécrables. Vous allez peut être tomber sur un e-mail extrêmement bien rédigé. Ou vous allez peut être vous rendre compte que votre grille-pain veut vous tuer. Mais ce qui est bien, c’est que dans les deux cas, ce sera enrichissant pour vous.

Récemment, Jason Fried avait écrit ce tweet :

You know that thing you don’t like? What’s one good thing about it?

Être un bon utilisateur, c’est aussi faire attention au moindre détail. En utilisant un produit que vous n’aimez pas, essayez d’identifier ce que vous n’aimez pas. En utilisant un produit que vous aimez, essayez d’identifier ce que vous aimez. Dans les deux cas, est-ce que vos critiques sont universelles, ou alors purement subjectives et personnelles ? Soyons réalistes : aucun produit n’est universellement parfait. En répondant à ces questions, vous devriez commencer à prendre conscience de la cible des produits que vous concevez.

L’excellent Dustin Curtis a écrit un article plus ou moins sur ce sujet la semaine dernière :

 « Le meilleur » n’est pas nécessairement un produit ou un objet. C’est la récompense d’avoir gagné le combat entre la patience, l’obsession et le désir. Cela prend une quantité de temps déraisonnable pour trouver le meilleur de quelque chose. Cela vous demande de connaître tout à propos du marché du produit, de sa fabrication, de son design, et d’arriver à naviguer parmi les prix trompeurs et le marketing. Cela vous demande de trouver le meilleur objet pour vous-même, ce qui demande de savoir ce qui compte réellement pour vous.

Des gens raisonnables ne passeraient probablement pas leur temps à lire un livre sur l’histoire des couverts, à en acheter vingt ensembles, et à tester le ressenti de chaque ustensile en métal contre leurs dents. Cela paraît fou. Mais qui se soucie des gens raisonnables ?

Si vous êtes une personne déraisonnable, croyez moi : le temps passé à trouver le meilleur de quoi que ce soit vaut totalement la peine. Il vaut mieux avoir quelques objets fantastiques conçus pour vous plutôt que d’avoir de nombreux objets peu fiables conçus pour plaire à tout le monde. Le résultat, être capable de faire confiance aveuglément aux objets que vous possédez, est intensément libérateur.

Être un bon utilisateur, c’est aussi savoir faire la différence entre le suffisant, le bon, et le meilleur.

  1. Benjamin, le

    Je suis d’accord et je dirai même que l’inverse peut aussi fonctionner.
    Je suis un autodidacte dans la conception web donc j’ai encore beaucoup de lacunes, mais il m’arrive d’être confronté à des gens ayant suivi une formation et donc de mieux maitriser le sujet que moi mais ayant une culture déplorable.
    Et dans ce genre de moment, je me sens en meilleure posture, avec le sentiment de mieux comprendre comment ça se passe malgré mes faibles compétences techniques.

  2. Bartdude, le

    Je n’ai pas de compte Facebook, pas de Smartphone, et ça ne m’empêche pas d’avoir une idée de comment ces choses fonctionnent. Une idée assez précise pour savoir que je ne veux pas les utiliser, que je n’en ai pas « besoin », mais qu’il y a certainement des bonnes idées à y « piquer ». (Facebook est juste un monstre technologiquement parlant, pas besoin de savoir que X a écouté tel morceaux ou que Y s’est séparé pour en prendre conscience). Ce que tu appelles « rechigner », j’appelle cela un choix !

    De plus, la curiosité c’est bien, mais dans le monde actuel, il faut cependant mettre quelques limites : si on passe ses journées à fureter curieusement partout, il ne reste plus de temps pour mettre ces bonnes idées en application… Même si évidemment ca permet de briller avec une culture (web) très générale mais aussi très superficielle.

    Je suis en effet de mon côté effaré par le manque de culture habituel de certains ayant pourtant une bonne culture Web, qui sont au courant des derniers memes, des derniers sites à la modes, des derniers réseaux sociaux, mais incapables d’écrire sans correcteur orthographique, incapables de réfléchir sans Wikipedia, et incapables de penser sans les gourous blogueurs…

  3. MULK, le

    Ouais, en gros c’est aussi une question d’équilibre et d’être suffisamment humble pour ne pas parler de chose que l’on a pas essayé… Comment comprendre les stratégies, le concept etc… d’un facebook sans avoir de compte et essayé durant au moins une semaine de remplir son mur et celui du voisin…

    Pour ma pomme, c’est comme de décortiquer les qualités d’un restaurant et de son cuisinier sans y avoir mis les pieds et manger…

    On peut le faire certes… mais c’est au travers des avis, des tests d’autres qui n’ont sûrement les mêmes sensibilités, goûts que soi-même. C’est aussi faire part d’une sorte de confiance aveugle dans les autres (effet mouton ?).

    Bon faut pas se leurrer, nous sommes tous un peu (beaucoup?) comme ça.

  4. Jonathan, le

    Ce petit débat me rappel un article lu récemment, ou comment l’évolution des technologie change la façon de réfléchir et de gérer l’information par nos cerveau : http://www.netpublic.fr/2012/10/enfants-mutants/

    Je pense pas que cela soit un mal, ni un bien, il faut juste s’adapter et adapter nos outils correctement.

  5. Thibaut, le

    J’aime lire ce genre d’article bien argumenté et réfléchi, je suis entièrement d’accord avec tous ces points. Malheureusement en entreprise la conception est souvent la tâche d’une seule personne alors qu’elle devrait être faite à plusieurs (intégrateur, DA, UX, etc.) pour partager les différentes expériences.
    En tout cas merci, ce site est l’un des rares que je trouve encore intéressant dans ma veille.

  6. Alban, le

    Je le déplore tous les jours.
    Et plus encore, il y a quelques semaines je suis tombé sur un article d’un blogeur qui prétend être spécialiste commerce, m-commerce et e-commerce dans son profil s’étonnant d’avoir reçu sa commande CDiscount dans un colis brandé Amazon ( http://www.le-furet-du-retail.com/article-scoop-exclusif-incroyable-amazon-me-livre-une-commande-passee-chez-c-discount-cherchez-l-erreu-111450625.html ) .
    J’en ai hurlé (pour de vrai, mes voisins doivent s’en souvenir) de colère.

    Comment quelqu’un qui prétend s’y connaitre en ecommerce peut ignorer le service Shipping par Amazon. Pourtant un service qui à plus de 3 ou 4 ans !

    Et les commentaires font hurler également (mais de rire cette fois ci).

    (Et les commentaires ci dessus sont également édifiants, un seul gravatar sur 5 commentaires)