Les articles de la catégorie « Ergonomie »

Mario Kart 8 et le bouton « Course suivante »

Mario Kart 8 est sorti, et j’ai pu m’en délecter une bonne partie du week-end. J’adore certaines nouveautés, comme les portions de circuits sur des routes anti-gravité. Je m’accommode de certains changements, comme le fait qu’on ne puisse plus maintenir un objet à l’arrière de son kart et prendre un autre objet en même temps. Mais il y a un changement qui m’insupporte déjà plus que tout.

À la fin de chaque course en mode Grand Prix, il y a un écran de menu qui permet  de passer à la course suivante, de voir le replay de la course, ou de quitter la partie. Voici un aperçu de ces écrans dans les précédentes versions de Mario Kart (respectivement Mario Kart Double Dash, Mario Kart Wii, Mario Kart DS, et Mario Kart 7).

Les anciennes versions de Mario Kart

Et voici maintenant le même écran dans Mario Kart 8.

Mario Kart 8

Nintendo a choisi de mettre le bouton vers le replay en premier, et le bouton vers la course suivante en second. Résultat : je me trompe régulièrement en appuyant par réflexe sur le bouton de validation dès la fin d’une course et je me tape donc le replay au lieu de passer à la course suivante.

C’est vraiment le genre de changement que je déteste dans une interface. 95 % du temps, je vais choisir d’accéder à la course suivante. Les 5 % restants seront partagés entre l’envie de revoir la course si vraiment il s’est passé un truc exceptionnel, ou de quitter la partie si je me suis complètement planté. Du coup, j’ai le sentiment que Nintendo me force à utiliser son nouveau système de replay Mario Kart TV, au détriment du jeu en lui même.

Un iPhone, c’est compliqué

Cette semaine, j’ai lu deux articles qui m’ont rappelé que malgré les louanges qu’on peut faire à l’ergonomie d’un iPhone, ça reste un appareil compliqué à utiliser.

D’abord il y a eu cet article « d’utilisabilité de couloir » de Jonathan Rentzsch, « Ma mère essaye un iPhone » :

Je lui ai demandé d’appuyer sur l’icône de Mail. Encore une fois, elle s’est retrouvée bloquée à cause de ses mouvements réfléchis, et elle a accidentellement déclenché le mode de réarrangement des icônes. Les Apps ne voulaient plus se lancer et elle n’a aucune idée de comment réparer ça. […]

Comme beaucoup de gens (la plupart ?), elle ne comprend pas ce qu’est une URL. Donc je suis allé sur Google pour elle, et je me suis dépatouillé pour naviguer sur Google News (google.com le cache désormais sous leur bouton hamburger). Elle utilise Google News sur son Mac, donc je voulais lui montrer que les mêmes informations sont disponibles sur l’iPhone. Je voulais qu’elle voit quelque chose qui lui soit familier.

Elle a immédiatement été contrariée en tapant sur le lien d’un titre qui a ouvert la page dans un nouvel onglet. Sa page de Google News a été mise au second plan et la page du Los Angeles Times est apparue au premier plan. Comme il s’agissait d’une nouvelle page, le bouton précédent n’était pas activé. Elle était perdue pour revenir en arrière, ne remarquant pas le bouton méconnaissable des onglets qui détenait la clé de son retour.

Et puis il y a eu cet excellent article chez Sam et Max, Il ne faut pas prendre des gens pour des cons mais ne jamais oublier qu’ils en sont :

Il y a 5 ans, on prenait les interfaces Apple comme modèle de simplicité. Et c’est toujours vrai. Sauf que maintenant ça ne suffit plus : il existe une bonne part des utilisateurs d’iPhone qui ne savent pas :

  • Faire autre chose que Tel + SMS + Facebook.
  • Installer une app.
  • Copier / coller.
  • Savoir où ils sont (sur une app native, externe au téléphone, sur un site internet…). En fait ils ne savent pas ce qu’est une app.

Pour toutes ces actions, ces gens demandent à quelqu’un d’autre de les aider. C’est comme ça que fonctionne l’humanité : je ne sais pas réparer ma voiture, je demande à un garagiste. Sauf que la voiture a mis près d’un siècle à s’installer dans les foyers, traversant lentement les couches sociales.

Internet s’est imposé partout, et à tout le monde, en 30 ans.

J’ai réalisé que l’iPhone était un appareil compliqué à utiliser en configurant mon iPhone 5 pour la première fois en novembre dernier. J’avais le souvenir d’une étape super simple lorsque j’avais configuré mon iPhone 3GS pour la première fois trois ans plus tôt. Pénible, certes, car il fallait à l’époque obligatoirement brancher son iPhone à un ordinateur avec iTunes installé. Mais de mémoire, c’était simple. Là, j’ai dû passer au travers de nombreux écrans de configuration pour tous les services d’Apple apparus entre 2008 et 2012.

« Souhaitez-vous activer les services de localisation ? » Euh, j’en sais rien, je suppose. Pourquoi ne pas le faire ? « Souhaitez-vous activer iCloud ? » Bah, j’imagine, oui, vu que c’est l’un des principaux services mis en avant par Apple. « Souhaitez-vous activer ‘localiser mon iPhone’ ? » Un service pour localiser mon iPhone en cas de perte ou de vol, ça a l’air bien ! Pourquoi je ne l’activerais pas ? Quelle est la contre-partie ? Pourquoi quelqu’un répondrais non ? « Souhaitez-vous activer Siri ? » Alors là vous plaisantez ! C’est la fonctionnalité de l’iPhone mise en avant dans toutes les pubs depuis l’iPhone 4S, et vous me demandez si je veux l’activer ?

Je me suis senti submergé par toutes ces questions auxquelles je n’avais qu’une seule et même réponse : « je m’en fiche, laissez-moi utiliser mon putain de téléphone ». Je n’ose pas imaginer le ressenti d’un utilisateur lambda.

Un exemple de la théorie de l’engagement

J’ai lu ce matin (via Openweb) un article très complet sur le persuasive marketing chez Gargarismes Ergonomiques. J’ai bien aimé ce passage :

Le persuasive design se base sur la théorie de l’engagement de Kiesler : vous agissez et pensez en fonction de vos actes antérieurs (“seuls vos actes vous engagent”). Ainsi, pour engager une personne vers un comportement final (p.ex. acheter l’intégrale de Mozart), on va lui faire réaliser des actes intermédiaires et préparatoires, les moins coûteux possible en termes d’effort (p.ex. l’inciter à poster un commentaire sur son attachement à Mozart directement sur le site web). On cherche ici l’acte le plus à-même de le prédisposer à en faire un plus coûteux (p.ex. recommander à un ami un CD de Mozart), pour finalement atteindre le comportement visé (p.ex. acheter un CD voire l’intégrale de Mozart).

Et oui, pour amener une personne à faire quelque chose, on pense souvent qu’il s’agit d’une question d’argument, de sensibilisation voire de formation. Détrompez-vous ! Voilà le 1er enseignement clé du persuasive design : pour vous persuader de quelque chose, la question n’est pas de savoir quels arguments on va pouvoir vous asséner mais bien de choisir ce que l’on va pouvoir vous faire faire. L’idée est de vous propulser dans une boucle engageante à travers divers comportements de prime abord anodins. Un simple “oui”, un simple “clic” est engageant.

Ça m’a fait sourire, parce que c’est exactement ce que fait le site Upworthy, un site qui rassemble les contenus viraux du moment. Quand vous accédez à une page du site pour la première fois, vous aurez droit à une popup plein écran de ce genre :

Une popup intrusive sur Upworthy

Luttez contre l’intimidation et la discrimination
Personne ne devrait faire face à de la discrimination en fonction de sa race, son orientation sexuelle, ou son apparence physique.
Je suis d’accord / Non, merci

Ce genre de popup intrusive à l’arrivée sur un site est particulièrement détestable. Mais le message proposé par le site est tellement évident qu’on ne peut qu’avoir envie de cliquer sur « Je suis d’accord », même si notre intention sous-jacente est de fermer cette popup. Sauf qu’en cliquant sur ce bouton, on aura droit à la suite du message :

Et voilà : maintenant on vous demande de vous inscrire à la newsletter

Après vous avoir posé une question évidente, le site Upworthy vous invite à vous inscrire à leur newsletter. C’est l’un des plus vieux tours au monde. Un passant vous demande l’heure, et puis vous demande une petite pièce pour dépanner. Vous vous êtes déjà engagé dans une action. Vous pouvez y mettre un terme, ou alors poursuivre dans une action que vous n’auriez sans doute pas fait sans cette première question. Vu comment Upworthy teste 25 titres par article pour voir lequel marche le mieux, il y a des chances pour que cette popup marche bien pour eux.

Mais d’après moi, ce genre de pratique est à classer parmi les dark patterns : « un type d’interface utilisateur qui a été soigneusement conçue pour inciter les utilisateurs à faire des choses, comme souscrire à une garantie lors de leur achat ou s’inscrire pour un abonnement récurrent ». Ça marche, mais c’est à utiliser avec grande précaution.

Les interfaces gestuelles

Hier j’ai essayé l’application météo Haze sur iOS. L’interface est jolie tout plein. Sauf qu’avant d’y accéder, je dois subir près de 10 écrans d’explications sur son fonctionnement. C’est une pratique de plus en plus courante dans les interfaces tactiles basées sur des gestes. Mais comme pour un panneau « Pousser » sur une porte de Norman, si j’ai besoin d’un manuel d’instruction de dix pages pour savoir quel temps il fera demain, c’est qu’il y a comme un léger problème de conception.

En décembre dernier, Max Rudberg avait rédigé un excellent article à ce sujet, intitulé « Si vous voyez un guide pas à pas, c’est qu’ils se sont plantés » :

Ces applications ont choisi de réduire les détails pour arriver à une interface minimaliste. Mais dans le processus, l’interface est devenue plus difficile à utiliser. Malheureusement un guide pas à pas est un moyen plutôt peu élégant d’expliquer les fonctionnalités principales d’une application. Ça peut être un obstacle frustrant avant de plonger dans une application, et vous devez vous souvenir de toutes ces nouvelles façons de l’utiliser une fois dedans.

J’avais rencontré le problème avec Clear sur iOS. Après son installation, j’ai suivi attentivement les 8 étapes de leur didacticiel, et puis je me suis amusé à créé quelques listes et quelques tâches. Puis quelques semaines sont passées, et quand j’ai voulu réutiliser l’application, j’avais tout oublié. Je bidouillais, je glissais des doigts de gauche à droite, je tirais de tous les côtés. Je finissais par retrouver comment ça marchait. Mais c’était clairement pénible. Et ce n’est pas la première fois que ça m’arrive.

Il y a quelques années, j’ai joué à No More Heroes sur Wii. Dans le jeu, les combats se basent ostensiblement sur des mouvements à réaliser avec des combinaisons de touches. Le déroulement du jeu permet d’apprendre facilement et progressivement ces différents mouvements. Je me suis bien amusé pendant une à deux semaines, puis j’ai lâché le jeu. Quand j’ai voulu m’y remettre un mois plus tard, j’avais tout oublié. Je me sentais perdu. Je me sentais stupide. J’ai remis le nez dans le manuel papier du jeu. Puis j’ai fini par abandonner, définitivement.

Et puis il y a aussi le problème de la découvrabilité des actions réalisables avec une interface gestuelle. En novembre dernier, Jakob Nielsen publiait un article incendiaire à l’encontre de Windows 8 :

Une des idées les plus prometteuses de Windows est l’utilisation avancée de commandes génériques sous la forme de ce qu’ils appellent des « charmes ». Les charmes sont un ensemble d’icônes qui glissent de la droite de l’écran après un mouvement de glissement depuis le coin droit (sur une tablette) ou après avoir pointé la souris vers le coin en haut à droite de l’écran (sur un ordinateur). […]

En pratique, les charmes marchent mal — en tout cas pour les nouveaux utilisateurs. Le vieil adage « out of sight, out of mind » s’avère particulièrement vrai. Parce que les charmes sont cachés, nos utilisateurs oublient d’y faire appel, même quand ils en ont besoin. Dans des applications comme Epicurious, qui inclue un rappel visible de la fonctionnalité de recherche, les utilisateurs effectuent des recherches beaucoup plus souvent.

L’année dernière, j’étais tombé sur ce post sur Reddit :

Mon jeu préféré sur iOS : essayer de toucher le bouton retour sans toucher à la barre de notification.

Mon jeu préféré sur iOS

Jouant moi-même régulièrement à ce « jeu », ça m’a fait sourire. Et puis j’ai lu le premier commentaire, et là ma vie a changé.

Glisse ton doigt sur la bannière de la droite vers la gauche et ça la fera disparaître.

Je ne sais pas comment j’étais censé deviner ça. J’ai peut-être raté un écran d’explication. Mais une indication visuelle, comme une petite croix à droite de la notification, pour la faire disparaître aurait sûrement été plus efficace.

John Gruber a trouvé à mon avis la bonne comparaison pour les interfaces gestuelles :

Je ne dis pas que ce sont de mauvais gestes. Mais ce sont comme des raccourcis clavier sur Mac. Pour n’importe quelles actions pour lesquelles vous vous attendez à ce que des gens normaux trouvent et utilisent, il doit y avoir un moyen visuel de les trouver. Vous pouvez ajouter un raccourci clavier que les utilisateurs experts mémoriseront, mais vous ne pouvez pas avoir uniquement un raccourci clavier. C’est la même chose avec les gestes.