Les articles du mois de avril 2012

« Méfiez-vous de certaines catégories professionnelles »

Hier soir, j’ai vu chez 37signals une conférence de Aaron Draplin présentant en 50 minutes « 50 points pour détruire votre carrière« . Ça parle de design, d’astronomie, et de conseils pour bien vivre sa vie en général. Mais surtout Aaron est un monsieur très rigolo, et avec un langage cru et un franc-parler.

J’ai particulièrement ris quand il a présenté son point N°17 : Méfiez-vous de certaines catégories professionnelles.

Be Wary Of Certain Business Professionals - Aaron Draplin Point N°17

Méfiez-vous de certaines catégories professionnelles. Voici le pire de la société. On va commencer par le bas.

  1. Les télémarketeurs, faites attention
  2. Les Agents de Sécurité des Transports (« TSA agents »)
  3. Les pickpockets
  4. Les employés du Département des Véhicules Motorisés, si vous ne l’avez jamais vécu c’est vraiment mauvais
  5. Les voleurs de chevaux
  6. Les collecteurs d’impôts
  7. Et tout en haut… Les développeurs web. Ces salauds vont vous mentir, vous gruger et vous voler en vous regardant droit dans les yeux, inventer des conditions à la volée dont j’ai pas la moindre idée de ce qu’ils racontent, et puis vous envoyer un long e-mail en vous expliquant pourquoi c’est important… Écoutez : faites bien attention aux développeurs web. Saletés de charlatans.

C’est triste, mais ironiquement je suis assez d’accord avec lui. Le monde du développement web est bourré de charlatans. C’est difficile pour un graphiste d’être un charlatan . Si vous êtes un mauvais graphiste, ça se verra tout de suite dans votre travail. Par contre, pour un développeur web, ça me semble facile d’entourlouper un client en lui vendant un travail baclé et de mauvaise qualité, mais qui s’affichera pourtant correctement et correspondra à ses attentes graphiques.

C’est bien pour ça que je me tue à répéter que le design n’est pas la finalité d’une page web. Si vous voulez vraiment savoir ce que vaut un intégrateur, ne regardez pas ses pages intégrées. Regardez son code.

« Ce genre d’obsession »

Vu ce matin sur Reddit, un extrait d’une interview de Penn Jillette, magicien professionnel, publiée initialement par Game Informer en 2009 :

Vous savez, quand j’avais 15, 16, 17 ans, je passais 5 heures par jour à jongler, et je passais peut-être 6 heures à sérieusement écouter de la musique. Si j’avais 16 ans aujourd’hui, je passerais surement ce temps à jouer à des jeux vidéo.

Le truc que les personnes âgées ne comprennent pas, c’est que – si vous n’avez jamais écouté Bob Dylan, et que quelqu’un vous le fait découvrir pendant 15 minutes, vous n’allez pas rentrer dedans. Vous n’allez simplement pas comprendre. Vous devez passer des heures et des heures pour comprendre la forme, et la même chose est vraie pour le jeu vidéo.

Vous n’allez pas simplement regarder un FPS où vous tuez des zombies et comprendre les nuances. Il y a une quantité énorme d’arrogance et d’orgueil quand quelqu’un peut regarder quelque chose 5 minutes et le rejeter. Que vous parliez de jeu vidéo ou de musique classique, vous ne pouvez pas le faire en 5 minutes. Vous ne pouvez pas écouter Le Sacre du Printemps une fois et comprendre tout ce que faisait Stravinsky.

Il me semble que vous devriez au moins avoir la politesse de dire que vous n’y connaissez rien, plutôt que de dire que ce que font les autres est mal. Le cliché de l’enfant passionné qui ne va pas dehors et joue juste à des jeux vidéo est totalement faux. Et ça vaut aussi pour l’enfant passionné qui lit des bandes dessinées et qui devient un génie, et ça vaut aussi pour l’enfant passionné qui écoute chacune des chansons que Led Zeppelin a sorti.

Ce genre d’obsession chez un adolescent de 16 ans n’est pas moche. C’est magnifique. Ce genre d’obsession va conduire à un adulte de 30 ans sophistiqué qui a des connaissances sur cette forme d’art.

Comme beaucoup d’informaticiens, je pense « être tombé dedans quand j’étais petit » en grande partie grâce aux jeux vidéo. Dans mon cas, c’était au début des années 90s à l’âge de 8-9 ans.

Au départ, je ne faisais que jouer (notamment à Doom et Alone in The Dark, ce qui en retrospective n’était quand même pas très malin de la part de mes parents). Mais rapidement, ça a éveillé ma curiosité, et ça m’a poussé à apprendre plus de choses. J’ai appris à me servir de lignes de commande pour parcourir des dossiers et lancer des jeux. Puis j’ai appris à copier des disquettes et graver des CD. Et puis j’ai appris les différentes protections possibles sur un CD-Rom, et comment les contourner. Et puis j’ai appris à faire des maps sur Half-Life. Et puis j’ai appris comment les uploader sur Internet pour les partager avec le monde entier. Et puis j’ai appris comment créer des pages web pour partager ma passion du jeu vidéo.

Et puis je suis devenu intégrateur.

C’est ce genre d’obsession qui m’a conduit aujourd’hui à faire un métier que j’aime. Et bien que ce métier n’existait pas quand j’étais petit et que j’ai commencé à développer cette « obsession », c’est exactement ça que je voulais faire.

Bonus : Si vous aimez la magie, et puisque cet article part d’une citation de Penn Jillette, je vous invite très chaudement à regarder ce tour de Penn et Teller.

Pourquoi tu demandes ?

La question « Pourquoi tu demandes ? » devrait être la première réponse à pas mal de questions qui semblent hors contexte. Imaginons par exemple la conversation suivante entre deux intégrateurs :

Intégrateur N°1 : Dis, tu sais comment appliquer un style uniquement sur IE6 ?

Intégrateur N°2 : Tu peux utiliser un hack ou des commentaires conditionnels.

Intégrateur N°1 : Ok, merci.

Vous croyez avoir aidé à résoudre le problème ? Revoyons la scène en insérant la question magique.

Intégrateur N°1 : Dis, tu sais comment appliquer un style uniquement sur IE6 ?

Intégrateur N°2 : Pourquoi tu demandes ?

Intégrateur N°1 : Et ben ça m’énerve, j’ai une div en float:left avec une marge à gauche, et sur IE6 elle est carrément plus grande.

Intégrateur N°2 : Oh, ça c’est le bug des marges doubles. Il suffit d’ajouter un display:inline sur la balise en question et ça marchera.

Intégrateur N°1 : Oh, tu viens de m’apprendre un truc, merci.

Cette question, pourtant si simple, permets d’identifier réellement le problème, et du coup de le résoudre, plutôt que de le contourner.

Ça marche très bien entre développeurs, mais c’est également vrai pour les échanges avec tous les autres corps de métiers du web, et en particulier avec les clients. Bien répondre à un client, c’est d’abord bien comprendre son problème.

Récemment, je suis tombé sur ce très rigolo court métrage de Michael Davies, « Ça veut dire quoi vierge ?« , qui illustre parfaitement mon propos.

What's Virgin Mean? | Future Shorts

Je vous encourage vraiment à regarder cette vidéo, mais si l’anglais vous bloque, voici une traduction par mes soins (attention, spoiler).

La fille : Maman, ça veut dire quoi, « vierge » ?

La mère : Et bien… Les filles et les garçons… les adultes, ont des corps différents… mais qui sont fait pour s’emboîter de manière très ingénieuse… comme un puzzle !

La fille : Comme les puzzles que fait Papy ?

La mère : Oui ! Enfin, non… Non ! Quand une maman et un papa s’aiment, s’aiment beaucoup… Parfois, ils aiment bien se montrer à quels points ils s’aiment.

La fille : Est-ce que le papa fait un cadeau à la maman ?

La mère : En quelque sorte.

La fille : Quel genre de cadeau ?

La mère : Papa a un truc spécial, et Maman aussi. Et quand Papa et Maman veulent faire quelque chose de spécial, pour faire un bébé, Papa prends son truc spécial et le mets dans l’endroit spécial de Maman.

La fille : Winchester ?

La mère : Non !

La fille : Le magasin de chaussures ?

La mère : Non chérie. Un endroit spécial dans le corps de Maman. Et ça rends Maman très heureuse. Et Papa est heureux aussi. Et finalement, parfois après un long moment, parfois très rapidement, Papa devient tellement heureux que ça créé une sorte d’explosion et que toutes les graines de Papa se précipitent vers l’oeuf de Maman. Et c’est ce qu’on appelle faire l’amour.
Enfin bref, jusqu’à ce que tu le fasses pour la première fois, on dit que tu es vierge. Ça doit répondre à ta question.

La fille : Mais alors… ça veut dire quoi, « extra vierge » ?

Project Glass

Google a présenté Project Glass, son projet de lunette de réalité augmentée, à travers une simple page Google+, une vidéo et une courte présentation (l’accentuation est de moi).

Nous partageons cette information maintenant parce que nous voulons entamer une discussion et apprendre de vos retours inestimables. Donc nous avons pris quelques photos pour montrer ce à quoi cette technologie pourrait ressembler et avons créé une vidéo pour démontrer ce que ça pourrait vous permettre de faire.

Project Glass: One day...

Je crois que je ne déteste rien de plus au monde que ce genre de vidéos. Ce genre de vidéos, comme le Seabird de Mozilla, la vision du futur de Microsoft, ou le futur de BlackBerry. C’est de la pure foutaise. Ces vidéos n’ont pas plus de valeur que les interfaces présentes dans des films comme Minority Report ou Prometheus. Il y a 6 mois, John Gruber résumait très bien le problème de ces vidéos :

Les designs de ces vidéos de concepts sont libres de toutes contraintes du monde réel — qu’elles soient techniques, logiques, ou financières. Travailler avec des contraintes est tout ce dont il s’agit pour du vrai design.

Je suis fasciné par les avancées technologiques dans tous les domaines. Mais ici il s’agit simplement présenté une vidéo d’un prototype. Même s’ils parvenaient à concrétiser ce prototype, il y a de grandes chances pour qu’on en soit très loin dans la réalité.

Dans la réalité, un tel projet réalisé par Google ressemblerait plutôt à ça.

Project Glass

Le ciel du Titanic

Aujourd’hui sort sur nos écrans Titanic, en 3D. Je me passerais de commentaires sur cette mode. Mais ça m’a rappelé une interview rigolote vue récemment de Neil deGrasse Tyson, mon mème/astrophysicien/directeur du planétarium du Musée d’Histoire Naturelles de New York préféré (dont je vous avais déjà parlé). Il évoque la véracité scientifique des films de science fiction en général, et s’arrête sur un détail particulier du Titanic de James Cameron.

Dr. Neil deGrasse Tyson - Titanic 3D and Cameron "Wrong Sky"

Je dois avoir été l’une des dernières personnes au monde à avoir payé pour voir le film Titanic au cinéma. On n’était plus que cinq dans la salle à ce moment là. Tout le monde avait vu le film trois fois, je devais le voir au moins une fois.

Donc je regarde le film, et tout se passe bien. Ce film, pour rappel, avait été largement vendu comme reproduisant précisément les détails du bateau. James Cameron, le réalisateur, a loué un submersible pour aller jusqu’à l’épave du bateau et observer le design des murs, les motifs chinois et les salles de commande. Il a retranscrit tout ça dans son film. Voilà quelqu’un qui se soucie des détails. Donc je regarde le film. Le bateau coule. (Désolé, j’ai raconté la fin, au cas où certains ne savaient pas.)

On connaît le jour, l’heure, la longitude, la latitude, l’année. On sait tout sur quand et comment ce bateau a coulé. Et là il y a Kate Winslet, sur sa planche, qui chante en plein délire, pendant que son petit copain coule jusqu’au fond de l’océan… (Pourquoi est-ce qu’il n’a pas essayé de s’accrocher avec elle ? Vous croyez qu’ils n’auraient pas pu arrivé à trouver un moyen à deux ? Vraiment ?) … elle est là, elle regarde le ciel. Il n’y a qu’un seul ciel qu’elle aurait du regardé, et c’était le mauvais ciel. Pire encore, ce n’était pas seulement le mauvais ciel, mais la partie gauche du ciel était le miroir de la partie droite du ciel. Non seulement c’était faux mais en plus ça a été fait par un paresseux. Et là je me dis… c’est mal !

On connait tous le ciel. C’est notre jardin à tous (et si ça ne l’est pas, ça devrait l’être). Et pour quelques dollars vous pouvez acheter un programme de planétarium sur votre ordinateur, regarder le ciel à la date du naufrage du Titanic et vous rendre compte que ce n’est pas le ciel du Titanic de James Cameron.

Donc j’ai pris ma plus belle plume, et j’ai écrit une lettre à James Cameron, lui disant poliment : « Comment est-ce que tu as pu foiré le ciel ? ». Je n’ai eu aucune réponse.

Cinq ans plus tard, je fais parti d’une commission dont il fait également parti (d’ailleurs il a été conseiller pour la NASA pendant un moment – pas pour le ciel, mais pour d’autres trucs, comme de l’exploration). Et donc, je me trouve dans la même pièce que lui. Je me dis : « voilà une belle occasion ! ». Donc je lui dis : « Monsieur Cameron, je vous ai écris une lettre il y a quelques années », qu’il n’a jamais reçue, « saviez-vous que votre ciel est complètement faux ? On connait ce ciel, et tout le reste de votre film était si précis… ». Et il me réponds : « Je ne le savais pas. » En fait ça s’est passé en post-production. Et c’est tout ce qu’il m’a dit. J’étais totalement immature, et je voulais qu’il s’agenouille à mes pieds et qu’il implore mon pardon. Mais il ne l’a pas fait. Et donc je suis resté profondément insatisfait à cause de ça.

Trois ans plus tard, il reçoit une récompense du magazine Wired. Et ils ont loué MON planétarium pour lui remettre. Donc dans mon immaturité irrationnelle, je lui en parle à nouveau. Il se trouve que j’étais invité à dîner avec lui après l’événement. On n’était que huit, on buvait bien, l’ambiance était décontractée. Je lui dit « Jim » (parce que maintenant je peux l’appeler Jim), « je t’avais écris une lettre concernant ton ciel, le fait qu’il était erroné, comment tu avais pu faire ça… » Et il m’a répondu : « La dernière fois que j’ai vérifié, Titanic a généré 1,3 milliards de dollars de recette à travers le monde. Imagine combien il aurait pu générer si j’avais eu le bon ciel ! ». Ça me l’a bouclée, je ne pouvais rien répondre à ça. Je suis rentré chez moi, la queue entre les jambes.

Deux mois plus tard, je reçois un appel d’un type : « Bonjour, je travaille en post-production dans les studios  de James Cameron. On va sortir une version spéciale du film pour son dixième anniversaire, et il m’a dit que vous aviez un ciel qu’on pouvait utiliser. »

« YEEEEES ! »

Ce sont les petits détails qui font la différence.