Ton dogme c’est de la merde

Je me rends compte que je n’ai pas écrit d’articles depuis le début du mois. C’est en partie dû au fait que j’ai pas mal de travail. Mais je réalise que c’est peut-être aussi en partie dû à certaines réactions lues suite à certains de mes précédents articles.

Le mois dernier, Marie Guillaumet a écrit un excellent article chez Les Intégristes intitulé L’intégration web, cette leçon d’humilité. (Si vous ne l’avez pas encore lu, vraiment, allez-y.) Ce paragraphe a particulièrement retenu mon attention :

Le problème, ces dernières années, c’est que tout ce qui se dit sur la Toile à propos des méthodes de développement front-end est relayé sur Twitter et a tendance à être pris pour argent comptant. À chaque jour son nouveau messie. Pour peu que le messie en question ait beaucoup de followers, peu de voix s’élèveront alors pour remettre sa parole divine en question : « Si lui, si elle le dit, c’est qu’ils doivent avoir raison ! ».

Le mois dernier également, Christophe Andrieu a publié une réponse, elle aussi pleine de bon sens (même si je ne suis pas d’accord avec tout), à mon article sur la cible, intitulée Intégrateur dans la vraie vie. Là encore, un commentaire de Kaelig a résonné en moi :

Pour avoir été à la conférence “Responsive Day Out” il y a un mois à Brighton, où les Jeremy Keith et autres gourous du web “bien fait et responsive” parlaient de leur expérience, j’avoue qu’à la fin de la journée je commençais à en avoir assez des beaux discours qui se rapportaient à dire “si votre contenu n’est pas accessible sous Lynx, allez vous faire en…er, vous êtes juste mauvais”.

N’oubliez jamais que ces gens sont ceux qui crient le plus fort dans une foule de développeurs, pas forcément ceux qui sont les plus pertinents. D’ailleurs nombre d’entre eux n’ont jamais participé à des projets d’envergure, ou encore cachent qu’ils acceptent aussi des boulots alimentaires afin de ne pas écorner leur image d’experts.

Je ne peux pas m’empêcher de me sentir visé quand on parle de « beaucoup de followers » ou de « ceux qui crient le plus fort ».

J’ai actuellement 5469 followers sur Twitter. Ce chiffre me fait bouillir la cervelle quand j’y pense. Bien sûr, ce n’est rien à côté des trente-six millions de followers de la directrice de création de Polaroid. Mais pour un compte personnel d’intégrateur, où je parle quasiment exclusivement d’intégration, parti de zéro il y a tout juste trois ans, ça me laisse abasourdi.

Du coup, ça donne de l’écho à tout ce que je dis. Le moindre de mes articles fera plusieurs centaines voire plusieurs milliers de vues, même le plus débile (2807 vues depuis sa parution). Et puis j’ai des avis tranchés. J’écris sur des sujets qui me passionnent, des sujets qui me prennent aux tripes, des sujets qui me font réagir de manière viscérale.

En combinant les deux paragraphes précédents, je comprends que je puisse passer pour un « ayatollah » (ou pour Abraham Simpson).

Hier, je suis tombé sur cet article, « There is No Right Way to Develop Software« , dénonçant les gourous prétendant que leur façon de travailler est la seule et unique façon véritable de travailler. Et puis une recherche sur l’avant-dernière phrase de cet article, « Strong opinions, weakly held » m’a mené à ce fantastique article du même nom de Jeff Atwood en 2008. Il répond à certaines critiques vis-à-vis de son blog et de sa supposée autorité. Il commence par reprendre deux slides d’introduction d’une conférence.

Qu’est-ce que j’ai fait ?

Je n’ai pas de société.
Je n’ai pas participé au lancement d’une startup importante.
Je n’ai pas créé un framework ou un standard.
Je n’ai pas gagné beaucoup d’argent.

RIEN.

Il n’y absolument aucune raison pour laquelle vous devriez m’écouter.

Mais d’une manière ou d’une autre, j’ai 75 000 abonnés à mon flux RSS et plus de 50 000 pages vues par jour.

C’est un mystère pour moi, également.

Puis il enchaine :

L’autorité dans notre domaine est une chose étrange. L’autorité perçue l’est encore plus.

Je me suis toujours vu comme rien de plus qu’un amateur débutant à la recherche d’illuminations. Ce blog est ma tentative d’inviter d’autres personnes à faire ce voyage. C’est devenu un voyage assez populaire au passage, ce qui a subtilement altéré la nature du voyage et ma façon de l’aborder, mais le but reste le même.

Ça me trouble considérablement d’entendre que des gens me voient comme un expert ou une autorité, et non pas un camarade amateur.

Je n’aurais pas pu mieux décrire mon ressenti.

Tout ceci m’amène au titre de cet article, et à un autre excellent article lu le mois dernier, intitulé « Your Dogma is Bullshit« .

Chacune de nos perspectives se développe au cours du temps à travers les expériences de nos propres vies. La probabilité pour que les expériences d’une personne correspondent à celles d’une autre personne est quasiment nulle. Donc quelles garanties vous avez quand je dis « vous ne devriez pas utiliser Bootstrap » que j’y regarde de votre perspective ? Aucune, non ?

Même si je faisais de mon mieux pour voir de votre point de vue, le fait que nous ayons tous les deux suivis des chemins très différents — même si nous sommes arrivés au même point — signifie que je ne serais jamais capable de me mettre à votre place et de voir les choses comme vous les voyez. Sans comprendre le contexte, il n’y a aucun moyen pour moi d’avoir une telle prétention, peu importe à quel point j’essaye.

Donc si je ne peux pas prétendre savoir ce qu’il y a de mieux pour vous — et vous pour moi — comment savez-vous que ce que je raconte en ce moment même ce n’est pas de la foutaise également ? Je veux dire, j’ai commencé par une déclaration très large, comment savez-vous que j’ai raison ? Malheureusement vous ne pouvez pas le savoir. Et ce simple fait approuve ma déclaration — ou l’inverse, c’est à vous de décider. La totalité de cet article est un débat digne de l’oeuf ou la poule. Il n’y a aucun moyen pour qui que ce soit de prétendre qu’il est ou pas correct si ce n’est pour soi-même. Et c’est ça qui est génial !

Maintenant que vous remettez en cause mon dogme (et aussi peut-être ma santé mentale), vous commencerez à remettre en question les dogmes de tout le monde également, y compris les vôtres. Donc quand vous croyez que quelque chose est le meilleur — ou le pire — vous vous demandez, « comparé à quoi ? ». Comparé à vos propres expériences ? Aux miennes ? Et pourquoi pas comparé aux expériences de la prochaine personne que vous allez croiser ? Ou de la dernière personne que vous avez croisé ? Il n’y a aucun moyen de savoir, donc il n’y a aucun moyen de définir absolument ce qui est le meilleur, le pire, ou n’importe quoi entre les deux.

Est-ce que vous devez arrêter de faire des ombres portées dans tous vos designs ? Est-ce que vous devez arrêter d’utiliser Photoshop pour faire du web ? Est-ce que vous devez bannir tout texte en haut de casse ?

Peu importe. Ça dépend. Du projet, du contexte, de votre personnalité. Ces questions n’attendent pas une Vérité en réponse. Et ceux qui les posent n’ont probablement pas la prétention de la détenir.

La froideur du support numérique, et la nature souvent passionnée de nos métiers, fait qu’on est amené à réagir de manière viscérale. Mais ne vous trompez pas : si vous dénoncez ce que vous percevez comme un dogme par des conclusions tirées de vos propres expériences, vous serez à votre tour perçu comme un ayatollah.

Il y a deux ans, lors de l’affaire DSK, je me souviens avoir entendu un journaliste faire la déclaration suivante :

Dans un procés, il y a toujours trois parties : l’accusation, la défense, et la Vérité.

Je suis heureux d’avoir un blog personnel où je peux m’exprimer librement. Je ne prétends pas énoncer la Vérité. Mais juste à défendre les points de vues nés de mes propres expériences. Certains ressentiront ça comme des accusations. Je ne m’attends pas à faire l’unanimité. Mais si d’autres trouvent dans mes propos un écho à certaines de leurs expériences, et que ça leur permet d’avancer, alors je suis flatté d’y participer.

  1. Guirec, le

    Ce n’est pas facile de subir de la « pression » de la part d’autres personnes, surtout quand on les considère.
    Les chiffres sont une autre grande source de pression et, ça doit être très difficile, mais il faut s’en détacher.

    C’est un blog personnel, c’est un compte Twitter personnel… publie juste ce que tu as envie, tweet, retweet ce que tu as envie, mets en favoris ce que tu veux.

    Pour ma part, je te suis avec intérêt non pas parce que je te considère comme une « autorité », mais je parce que je sais que tu donnes ton point de vue, que tu partage.
    Que je sois d’accord ou non… c’est intéressant et enrichissant de te lire.

    J’espère que tu ne t’empêchera pas d’écrire quelque chose de peur que ce soit mal perçu, mais je ne fais pas trop de soucis là dessus ^^

  2. Lanza, le

    Hmmmm. Tu donnes un avis.

    S’il est transformé en dogme par un lecteur, c’est son problème.

  3. Saajuck, le

    Hello,
    Je crois que ce qui fait aussi un peu de charme à ce blog c’est son partis pris !
    Personnellement je te suis pour ça, avoir un retour d’expérience, pas seulement un énième tuto sur de l’inté !
    Et encore une fois, même avec ce post un peu triste, tu réponds à mes attentes en diffusant ton expériences et ton ressentis de ta vie d’intégrateur !
    Mais j’ai du mal a croire que les lecteurs prennent chaque post pour argent comptant… C’est contradictoire avec l’esprit même d’un intégrateur… (veille, évolution toussa toussa…)

  4. Bartdude, le

    Pour rebondir sur l’article de Jeff Atwood (que je suis assidûment depuis de nombreuses années), je trouve qu’on a donné un côté trop péjoratif au terme « amateur ». Non seulement on s’est éloigné de sa définition, mais surtout on a oublié que ceux qui ne font pas les choses pour vivre (= les professionels, respectés, eux), mais par passion, n’ont pas d’intérêt à bâcler les choses, à travailler à l’économie, ou a viser une quelconque rentabilité à court terme… Vive les amateurs !

  5. AlexBeaudouin, le

    Ravie de lire ce genre d’article sur la toile. Cela fait 4 ans que je suis dev front-end et ce qui manquait à cette « communauté », des voix qui s’élèvent pour pointer du doigt les dires des « gourou du web » et souligner que tout ce que l’on voit n’est pas forcément à prendre pour argent comptant.

    Il faut faire ses choix en fonction de ses contraintes et ses connaissances..

    Bonne continuation

  6. Thibault HENRY, le

    A vrai dire, merci. J’avais fini par me faire cette idée de certains blogueur sur la toile, c’est plutôt agréable de voir que ce n’est pas le cas (pour tout le monde) et je suis ainsi bien plus enclin à lire ton blogs que d’autres qui se prennent un peu trop au sérieux sur leur blog.

  7. Draeli, le

    J’avais lu également différents articles sur le sujet et autant on peut dégager selon moi des méthodes non utiles (celle qui n’apportent objectivement rien quelque soit le contexte), autant dégager une méthode n’est pas viable alors les petits nouveaux qui me sortent « ah mais un tel il a dit ca! », je l’ai remet tous de suite à leur place en leur expliquant que « oui mais non car il y a un contexte à tous ».
    Bref fais ce pour quoi tu penses que tu as créé ce blog, refixe toi sur ce qui t’importe à toi. J’ai également mon blog sur l’intégration et tous les trucs de geeks et ce n’est pas évident de faire face à la « pression ». Un bon moyen est de régulièrement se poser la question « Pourquoi j’ai fais ce blog ? Est-ce que cela correspond toujours à ce que je veux? ».

  8. kazes, le

    ok je te préfère comme ça

  9. Gring, le

    Merci pour ton article. C’est vrai que lorsque je programme, j’ai toujours des angoisses horribles à l’idée que je ne suis peut être pas en train de programmer  » à la manière dont c’est censé être fait « , alors qu’en réalité, il n’y a pas UNE bonne manière de programmer…

  10. jkneb, le

    j’te kiff

  11. Nico, le

    Ajoute à cela qu’il est proprement impossible de plaire à tout le monde : là, je me permets de m’auto-citer ( http://www.nicolas-hoffmann.net/source/1531-Les-surprises-de-l-ecriture.html ) :

    En fait, si vous écrivez, vous constaterez deux choses :

    – il est impossible de satisfaire tout le monde (oui, il y aura toujours quelqu’un pour râler),
    – et vous n’aurez pas la maîtrise de ce que les gens verront dans votre article.

    Le premier point est un effet qui vient dès que vous écrirez : n’imaginez pas que plus votre article sera pointu moins vous aurez de critiques. Vous trouverez toujours quelqu’un de bien intentionné (ou pas) pour trouver quelque chose à redire, soit de la technologie que vous évoquez, soit de votre propos. Abandonnez l’idée de plaire à tout le monde, c’est juste impossible, et c’est surtout une perte de temps.

    La second point est plus délicat : parfois les gens vont lire en diagonale votre article, et ils pourront manquer une mise en garde ou du moins la quintessence de votre propos.

  12. Rom Soul, le

    J’aime beaucoup tes articles, pour leur esprit vif et taquin, pour l’expertise qui s’en dégage, amis aussi pour ta franchise, qui contraste avec l’ambiance doctorale des gourous assénant leurs vérités sur le web comme si Dieu-Tout-Puissant les leur avait confiées gravées dans le marbre.

    Des gourous super sûrs de ce qu’ils disent, y’en a plein, mais entre eux ils ne sont pas d’accord sur grand chose.

    Pour nous autres les dév front end de la vraie vie, qui tentons de maîtriser puis maintenir à jour un corpus de connaissance considérable, ça entretient une mauvaise conscience en arrière plan quand on se lance en terrain inhabituel (c’est-à-dire souvent dans notre beau métier) . On tape une ligne de HTML, de CSS ou de JS… en se disant « Mff, Saint Machin n’apprécierait pas ».

    Mais Saint Machin parle de projets utopiques, avec un temps de dév confortable et des clients sensibles, ouverts à l’accessibilité, joignables et dispos etc. On est loin de la vraie vie, où les choses sont plus terre-à-terre : un bon projet c’est un site qui fait le job, livré en temps et en heure, point. Et si le client veut des target= »_blank », je vais pas consacrer beaucoup de temps à lui expliquer le W3C, le HTML5, les dinosaures et l’univers, même si je suis au jus, parce que ce soir j’ai le gamin à récupérer et les courses à faire, voilà.

    Le ton de tes articles témoigne de cette relativité des technos face aux autres contraintes de la vie, oserais-je.

    En fait, c’est peut-être paradoxalement parce que tu ne te la joues pas star que tu as autant de fans ? Oups, d’ailleurs je te tutoie, c’est la rançon du succés :)

  13. Matt, le

    C’est beau :)

  14. Marie, le

    Bravo pour cet article en forme de prise de recul, et merci pour la citation, j’en suis honorée ! :-)

    J’ai réfléchi aux points que tu soulèves, et en définitive je crois qu’il est temps de se détendre du string et de lâcher du lest : ce n’est pas parce qu’un quidam nous dit de sauter d’un pont qu’il faut le faire. De la même façon, les faux débats sur le « vrai » ou le « faux » design, le design « honnête » ou « malhonnête », la « bonne » ou la « mauvaise » intégration, ça me rappelle vaguement le faux débat actuel sur les couples « normaux » et les couples « anormaux ». Chacun voit midi à sa porte.

    La critique est aisée mais l’art est difficile – il me paraît tout autant difficile de juger de façon péremptoire qu’untel ou qu’unetelle aurait « mal fait son travail », qu’il y a une « bonne » et une « mauvaise » façon de travailler. Nous connaissons rarement le contexte des projets que nous jugeons : même si la tentation d’enfiler le costume du garde-chiourme est tentante, elle est aussi très dévalorisante, et n’apporte en définitive pas grand chose.

    De la même façon, prôner un dogme pourquoi pas (on a besoin de gens passionnés et convaincus !), mais ne pas oublier de parler des solutions alternatives, et de mettre de l’eau dans son vin. Le web est une initiation constante, plutôt que de dire « il faut toujours faire comme cela », je préfère qu’on me dise « il y a trois solutions, voici les avantages et les inconvénients de chacune », afin qu’on me laisse prendre la décision comme une grande, en connaissance de cause. Merci de ne pas penser à ma place et de me laisser mon libre-arbitre !

    Cela étant dit, il faut quand même beaucoup douter de soi pour prendre pour argent comptant ce type d’articles « dogmatiques » publiés à brûle-pourpoint. Certes, l’audience d’un blogueur confère plus ou moins d’impact à ses écrits, cela dit ce n’est pas parce qu’un gourou dit quelque chose qu’il a forcément raison. En ce sens, oui, nous avons besoin d’empêcheurs de tourner en rond, et oui, nous avons besoin de distributeurs de poil à gratter, afin de ne pas nous endormir sur nos lauriers, et de casser notre routine bien pépère. Toujours remettre en question l’autorité ! ;-)

    Tant mieux si les gens ne sont pas d’accord ! Tant mieux s’il y a débat ! Moi je m’ennuierais profondément si le web n’était constitué que de tutoriels bêtes et méchants, et de spécifications dogmatiques qui ne souffrent aucune critique.

    Chacun est libre de publier ce qu’il souhaite, de donner son avis, de compléter un point de vue.

    Le danger serait de vivre dans un consensus absolu, terriblement ennuyeux, dont ne dépasserait aucune aspérité. Les débats professionnels quels qu’ils soient sont sains, « ce n’est pas sale ».

    Maintenant, répondre à tout et sauter sur la moindre ânerie, est-ce que ça fait vraiment avancer le débat ? Bien faire et laisser braire, ça a du bon aussi.

    Si les gens réagissent à tes articles, même négativement, c’est signe que tu as fait mouche. Si ce que tu écrivais était nul, à côté de la plaque, personne ne réagirait. Vaut-il mieux être ignoré, rester éternellement dans l’ombre, ou prendre le risque de dire ce qu’on pense et s’exposer à des critiques ?

    Sur ce, bonzaï !