Les redesigns non sollicités

J’ai un peu du mal avec les redesigns non sollicités. Un redesign non sollicité, c’est quand un individu lambda décide de reconcevoir un objet, un outil, une fonctionnalité ou l’identité d’une marque célèbre. Plus ou moins récemment, j’ai à l’esprit l’identité de Microsoft, un concept d’UI pour Windows, l’identité et le redesign de Wikipédiaun redesign du New York Times, d’American Airlines, ou encore le redesign de Craigslist paru chez Wired en 2009. Le site Uninvited Redesigns en rassemble un bon paquet.

De nombreux articles ont déjà été écrits concernant les redesigns non sollicités, mais je crois que c’est Khoi Vinh (du NYTimes) qui résume le mieux mon avis :

Les redesigns non sollicités sont formidables et amusants et utiles, et j’espère que les designers ne s’arrêteront jamais d’en faire. Mais en les faisant, j’espère aussi qu’ils se rappelleront que ça n’aide personne, et encore moins l’auteur du redesign, de présumer le pire de la source originale et des gens qui travaillent dur pour la maintenir et l’améliorer, bien que ces efforts puissent sembler imparfaits vus de l’extérieur.

L’un de mes principaux griefs envers ces redesigns non sollicités est qu’ils sont réalisés en dehors de toute contrainte du monde réel. Pas de contrainte de temps, pas de contrainte de budget, pas de contrainte hiérarchique, pas de contrainte historique. C’est facile d’arriver à présenter quelque chose qui peut sembler mieux sans tenir compte d’aucune de ces contraintes.

Mais surtout, quand il s’agit d’un redesign non sollicité d’un site ou d’une application, j’ai l’impression qu’il existe une certaine complaisance élitiste chez leurs auteurs à ne pas vouloir aller plus loin que des JPG. Et le problème, c’est qu’un JPG, ce n’est qu’un JPG. Tout récemment (vu chez Daring Fireball), un contre-point de vue sur un redesign de l’écran verrouillé de l’iPhone résumait très bien le problème :

Juste parce qu’un design a l’air beau ne signifie pas qu’il a été bien pensé.

Le design d’interface, c’est avant tout du design interactif. Ce n’est pas en vous paluchant sur vos PSD dans Photoshop que vous allez résoudre des problèmes. Et si ce redesign que vous entreprenez vous tient vraiment à coeur, alors allez jusqu’au bout, et réalisez le. Vous ne savez pas coder ? Alors apprenez à coder. Sans quoi, votre idée n’a pas beaucoup plus de valeur, que vous ayez ou pas réalisé des maquettes en JPG.

Derek Sivers, fondateur de CD Baby et auteur de l’e-mail le plus réussi au monde, avait rédigé l’article parfait à ce sujet en 2005 : « Les idées sont juste un multiplicateur de la réalisation« .

Ça me fait toujours rire quand j’entends des gens vouloir protéger leurs idées. (Des gens qui veulent que je signe une clause de confidentialité pour me parler même de leur plus simple idée.)

Selon moi, les idées ne valent rien à moins d’être réalisées. Elles sont juste un multiplicateur. La réalisation vaut des millions.

Explication :

IDÉE HORRIBLE = -1
IDÉE FAIBLE = 1
IDÉE COUCI-COUÇA = 5
BONNE IDÉE = 10
EXCELLENTE IDÉE = 15
IDÉE GÉNIALE = 20

PAS DE RÉALISATION = 1$
RÉALISATION FAIBLARDE = 1000$
RÉALISATION COUCI-COUÇA = 10 000$
BONNE RÉALISATION = 100 000$
EXCELLENTE RÉALISATION = 1 000  000$
RÉALISATION GÉNIALE = 10 000 000$

Pour faire des affaires, vous devez multiplier les deux.

La plus géniale des idées, sans réalisation, vaut 20$.
La plus géniale des idées avec une excellente réalisation peut valoir 20 000 000$.

Voilà pourquoi je ne veux pas entendre les idées des gens.
Je ne suis pas intéressé jusqu’à ce que je voie leur réalisation.

Le mois dernier, j’ai découvert en regardant la retransmission du HTML Meetup le projet Responsive Museum Week, initié par Geoffrey Dorne. Partant du constat que les sites de musée sont en général mal conçus et pas du tout adaptés à une consultation mobile, il a lancé un appel pour créer en une semaine des versions responsives de ces sites. Ce qui m’a particulièrement plu dans ce projet, c’est son côté très concret. Ici, pas de JPG, pas de Photoshop. Vous remontez vos manches, vous installez Stylish et vous créez votre CSS. Et le résultat est directement utilisable par tout le monde.

  1. GoOz, le

    Je te trouve de plus en plus manichéen… Pourquoi faut-il que le redesign non-sollicité ait forcément un dessein pratique. Pourquoi ne pas admettre que ça ne puisse être qu’un exercice, qu’un vaste brainstorming (dont quasi rien n’est jamais réalisable), qu’une idée lancée en l’air dans le trou noir des concepts, théories, etc.
    Oui, ils n’ont pas toutes les contraintes et alors ? Ça ne veut pas dire que tout est à jeter.
    Enfin merde. C’est limite arrogant comme positionnement.
    « Tous ce que tu fais ou penses c’est de la merde, tant que t’as pas prouvé que ça en valait le coup d’œil ». C’est limite ce que je comprends quand je lis ton article.

    Et puis le « Apprenez à coder »… sérieusement ? ALO UI CER CHIEN !

  2. Julien, le

    Huhu, de billet en billet, l’aversion « des PSD » (ouuuh le bel ennemi que voilà !) se fait plus palpable, et l’inquiétude de l’auteur de se faire voler son travail par quelqu’un qui ne saurait pas coder (scandale) est de plus en plus présente.

    Malgré tous ces billets, malgré cette idée fixe que tu essayes de pousser dès que tu écris sur ton blog, je vais devoir ENCORE te décevoir, mais figure toi que les graphistes, designers, et surtout directeurs artistiques et concepteurs, servent encore à quelque chose (c’est ouf !).

    Les redesigns non sollicités ne servent pas à se la mesurer avec les équipe en place, mais juste à montrer comment on aurait conceptualisé son idéal dans le meilleur des mondes (et souvent dans une optique de publicité perso).

    Effectivement, il n’y a aucune contrainte, et le livrable est un JPG. Et alors ? Tout le monde n’est pas obligé d’avoir la vue basse et être lié toute sa vie à des contraintes opérationnelles.

    Ces redesigns sont salutaires, pour justement montrer ce qu’il est possible de faire, ou ce vers quoi il faut tendre. Ça peut débloquer le client en lui montrant ce qu’il pourrait avoir si il n’était pas si chiant, ça peut pousser les équipes de dev à mettre le paquet sur une fonctionnalité à priori « inutile » qui rend vraiment bien, en bref, ça sert à lever le nez du guidon.

    C’est peut-être difficilement envisageable pour quelqu’un qui pense surement que le design du site de Jacob Nielsen est parfait « parce qu’il fonctionne », et pourtant, dans ce monde, il existe des gens qui dessinent des concepts cars ne rouleront jamais sur une route.

    Et figure toi que ça marche plutôt bien :)

  3. chrishrmnn, le

    Je pense justement que l’un des avantages de ces redesigns c’est : « pas de contrainte de temps, pas de contrainte de budget, pas de contrainte hiérarchique, pas de contrainte historique ».
    Le designer fait ce qu’il veut, et au pire, il y a de bonnes idées qui en ressortent.

  4. remi en Stage, le

    J’aime bien ton blog pour ces billets qui vont très souvent à contre-sens des pensées communes.

    Pour ma part, les refontes de design, je trouve ça tellement frais que je comprends pas pourquoi il y en a si peu,…

    Tu es graphiste et tu cherches de nouveaux clients, fais des redesign, choisis un site grand public qui a besoin d’une refonte, casses-toi la tête sur une belle maquette et il y a de fortes chances que tu trouves un futur client.

  5. tenshu, le

    Et si ceux qui sont réussis mettaient tout simplement l’entreprise face à sa lourdeur (naturelle) toute bureaucratique. Et donc une certaine incapacité à mouvoir son identité graphique aussi librement que peuvent le faire les « redisigner ».

    Je note que le redisgn de windows qui avait cartonné, présente à postériori d’étonnante similitude avec l’identité graphique de Android.

  6. Kumo, le

    Je vois les designs non sollicités comme des essais, des concepts, des « jeux avec les images ». Non pas comme des prototypes bâtards.

    Ils n’ont pas besoin d’être réalisé, pas besoins d’être parfaits, pas besoin d’être pensés dans les moindre détails: ce sont des moodboards avancés qui permettent de se projeter un peu plus loin.

    C’est aussi un amour pour le produit qui pousse le designer à vouloir ré-imaginer le produit qu’il aime, même si il est irréalisable et non correspondant à la réalité.
    Si l’on écarte les designs non solicités, on peut aussi écarter tous les projets scolaires qui peuplent les portfolios des plus jeunes d’entre nous, ce qui serait dommage.

    C’est aussi bon en tant que designer, de se projeter dans un monde sans contraintes et sans clients. :-)

  7. kazes, le

    Le challenge mon frère.
    osef que ce soit pas réalisable, on va le faire quand même.
    Sans challenge tu restes au niveau 40 toute ta vie.

  8. PiT, le

    – Mais au fond quelle différence y a t il entre le bon et le mauvais designer ?
    – Ah j’l’atendais celle là j’l’attendais. Non mais le mauvais designer bon bah c’est le gars qui a photoshop y voit un truc qui fait des pixels y sort un JPG.
    – Et le bon designer ?
    – Le bon designer c’est un gars il a photoshop, une idée y voit un truc qui fait des pixels y fait des JPG mais…. Ce n’est pas la même chose y’a le bon designer qui va compresser le JPG à 70%, et y’a le mauvais designer, y’a l’aliased et l’antialiased.

    Non, merci pour cette vision objective des acteurs du digital, de ceux qui ont des idées et qui veulent les partager au nom de l’innovation et de l’évolution technologique.

    – Y faut bien se dire que c’est pour se donner du courage, l’intégrateur rageux ça fait quoi ? bon aller à tout casser 50 grammes , alors c’est dangereux, vous pouvez pas imaginer, vous qui connaissez pas ce que c’est une charge d’intégrateurs rageux…

    Plus sérieusement, tu mets le doigts sur un point sensible.
    Parle avec des mecs qui font un peu plus que des JPG, qui ont des idées qui se font bousiller par un manque de budget de suivi de conception, d’UX et d’ergonomie.
    Les redesigns, ça peut aider à dire : vous avez vu, c’est important, y a pas que du JPG dans la partie créative d’un projet et les moyens de production techniques ne sont certainement pas à décorréler de l’idée de base qui anime une équipe.

    Welcome to the creative technologism era.

  9. N. B., le

    Après lecture de cet article, j’étais dans un premier temps dans l’avis contraire par rapport à l’auteur, mais en y réfléchissant bien, et en tentant d’inclure un redesign non sollicité dans une chaine de production qualitative (entendre « avec étude ergo complète »), finalement je trouve cela complètement déplacé à mon tour.

    Parce qu’un redesign ne sert tout simplement à rien s’il n’est pas accompagné de son étude ergo (Audit ergo de l’ancien, hiérarchie de l’info, story-board, mock-up intégral, etc etc…).

    L’idée de servir un design non sollicité afin d’inciter d’aller vers celui-ci ne fonctionne pas dans la mesure où l’étude ergo préalable peut amener à revoir totalement ce premier, jusqu’à le rendre complètement inopérant, inopérable !

    Le redesign non sollicité est donc une perte de temps mémorable, à moins de l’accompagner de l’étude ergo, mais pour réaliser une étude ergo réellement complète et efficace, croyez-moi, il faut en faire son métier. C’est comme tout, arrêtons de croire qu’on peut être multi fonctions et se croire meilleur qu’un spécialiste. Soyons honnête : Si vous êtes principalement graphiste et que vous fournissez un étude ergo, il y a de très fortes chances pour que l’ergonome / ingénieur UX-UI (ou ce que vous voulez) vous démonte totalement votre travail ! Et pour cause… Non seulement sa vision sera plus en phase avec les contraintes réelles de l’entreprise (contraintes commerciales, techniques, stratégiques,…) mais elle sera surtout plus pointue dans le domaine de l’ergo puisque c’est son métier de tous les jours !

    Ca me rappelle un peu la fois où nous avions fournis un mock-up pour validation client, et que celui s’était est « amusé » à en refaire un à sa sauce car il souhaitait tout obtenir dès la v1… Non seulement il avait rendu cette future appli incroyablement compliqué à lire / à utiliser, mais il avait aussi complètement occulté les contraintes techniques majeures (bloquantes). S’en est suivi de longs échanges pour réaliser une espèce de compromis bâtard, qui restait au final moins satisfaisant que la première version, mieux pensée dans son ensemble (approche holistique complète), plus adaptable, etc…

    Cependant, même si j’ai tendance à penser qu’un redesign non-sollicité est une perte de temps et d’énergie, on peut quand même en extraire une espèce de charte graphique qu’on pourrait appliquer sur une future refonte.