La 3ème génération d’intégrateurs

Quand je pense à l’état actuel du web, j’ai le sentiment qu’on est entré dans la 3ème génération d’intégrateurs. Chaque génération a été marquée par sa guerre entre navigateurs, ses outils de développement, et ses bonnes et mauvaises pratiques.

La première génération était la génération Netscape/Internet Explorer, du milieu des années 1990 jusque l’an 2000. Netscape était le navigateur dominant, mais s’est rapidement fait rattraper par Internet Explorer. La connexion à Internet se faisait en général en 56k. Les sites étaient principalement codés à l’aide d’éditeurs WYSIWYG, comme Microsoft Frontpage ou Macromedia Dreamweaver. Les mises en page de sites se faisaient à l’aide de tableaux, de frames, et les pages étaient remplies d’images « spacer.gif » ou de gifs animés. C’étaient les débuts d’Internet, et la première préoccupation d’un intégrateur était de mettre une page web en ligne.

La seconde génération était la génération Firefox, de 2001 jusque la fin de la décennie. Internet Explorer était le navigateur dominant, mais s’est rapidement fait grignoter par Firefox. La connexion à Internet se faisait en général par ADSL. Les sites étaient principalement codés à l’aide de gros IDE spécifiques à un langage de développement, comme Visual Studio. Les mises en page de sites se faisaient à l’aide de CSS, de float, et les pages étaient remplies de div et de Flash. La première préoccupation d’un intégrateur était de respecter le design réalisé par un graphiste.

La troisième génération est la génération WebKit, qui a débuté un peu avant 2010. Il n’y a plus vraiment de navigateur dominant, mais le moteur de rendu WebKit (utilisé dans Chrome, Safari) est largement majoritaire. La connexion à Internet se fait désormais principalement sur mobile, en Edge ou 3G. Les sites sont codés à l’aide d’éditeurs de code aux interfaces plus minimalistes, comme Textmate, SublimeText ou Notepad++. Les mises en page de sites se font à l’aide de CSS3, de media queries, et les feuilles de styles sont remplies de préfixes navigateurs. La première préoccupation d’un intégrateur est de rendre son site visible partout, peu importe le navigateur, la taille de l’écran et le type d’appareil utilisé.

Cela m’amène à faire le constat suivant. Chaque génération dure entre 5 et 10 ans. Et chaque génération a vu apparaître des méthodes de travail radicalement différentes avec des problématiques totalement différentes. J’ai toujours un léger rictus quand je vois des agences web ou des intégrateurs se vanter d’avoir « 15 ou 20 ans d’expérience », car en réalité, vous avez seulement l’expérience depuis le début de la génération en cours. Et pire, si vous avez de l’expérience mais que vous ne vous remettez pas en question, vous risquez de traîner d’anciennes pratiques désormais devenues obsolètes voire néfastes.

Si je pense qu’il n’est plus possible aujourd’hui de maîtriser toutes les facettes de l’intégration, je pense aussi qu’il est très important pour un intégrateur de continuellement se remettre en question. Les bonnes pratiques d’aujourd’hui seront les mauvaises pratiques de demain.

Et quand des clients me demandent si je crains la concurrence d’autres agences ou d’agences low-cost, je réponds par la négative. Ma plus grosse crainte, c’est moi même. La peur que je n’arrive pas à me renouveler. Et pire : la peur que je ne me rende même pas compte qu’il faille que je me renouvelle.

  1. Séb, le

    Merci pour ce billet, je te rejoins complètement ! Je pense que l’intégrateur doit s’assurer une bonne veille et s’assurer des moments réguliers de formation car c’est un domaine où on ne peut improviser une évolution.

  2. Yvain Liechti, le

    Je suis un jeune intégrateur qui n’a pas vraiment connu la première génération dont tu parle ici. J’ose dire que j’ai quelques années d’expériences en tant qu’intégrateur, ce métier évolutif et toujours à l’affut de nouvelles possibilités.

    Si on suit ce principe et que l’on s’adapte efficacement à l’évolution, on peut donc se vanter d’avoir 20ans d’expériences et d’être toujours dans le peloton de tête.

  3. Aurelien, le

    Bel article, merci !

  4. Nico, le

    Je te rejoins également sur ton propos, beaucoup de saines vérités.

    Ce qui me gêne plus, ce n’est pas tellement la génération en soi (j’ai connu les trois), c’est surtout l’incapacité de penser hors de sa génération et d’arbitrer un choix, même imparfait. J’ai vu par exemple des intés incapables de penser en dehors de LESS et SASS, et même si ce sont de bons outils, ça me choque vraiment qu’on apprenne d’abord un framework et non un langage.

    Quand aux choix, j’ai l’impression que les trois générations ont un besoin maladif de se rassurer dessus… mais punaise, qu’est-ce qu’on s’en fout de savoir qu’untel bosse d’une façon différente et surtout quel bénéfice ça apporte de déployer autant d’énergie à casser un truc ? Libre à chacun de faire comme il l’entend, et libre à chacun de faire ses choix/erreurs/apprentissages comme il l’entend.

    Plus inquiétant encore, je vois des intés talentueux qui tentent des choses pour le mobile, et qui sont regardés comme des extra-terrestres juste parce qu’ils essaient des approches un peu différentes. Quand ils ne sont pas descendus en flamme.

    C’est pas parce qu’on se tape des délires divers sur nos sites qu’on est incapable de penser sérieusement ou de manière plus « conventionnelle » dans le travail.

  5. Rodleg, le

    Pour ce qui est de l’avis de quelqu’un qui n’est pas encore débutant (moi).
    Je pense que la phrase « Les bonnes pratiques d’aujourd’hui seront les mauvaises pratiques de demain. » résume parfaitement ce que devrait être la devise de tout les travailleurs du web (pour élargir au delà des simples intégrateurs).
    en tout cas ce billet est excellent merci

  6. Simon White, le

    Ayant vécu les trois générations, il y a quelques raccourcis et faits inexacts dans le résumé. La norme v90 pour le vrai 56k partout n’existait qu’à partir de 1998 par exemple, et on est toujours massivement ADSL/LAN pour les connexions même si le mobile connaît un essor énorme. En prime, j’ai vécu des années dans les pays où on était content de se connecter à un 28.8 stable, même en 1999…

    Mais sinon l’article est intéressant, l’intégrateur d’hier n’a plus de repères par rapport à la pointe de l’intégration d’aujourd’hui. Le souci avec « internet everywhere » c’est qu’une solution pour tous les terminaux n’est pas toujours le bon choix, tandis que tout le monde veut faire du « responsive design » ce n’est pas le plus facile à gérer dans les environnements les plus complexes.

    Le renouveau est bon. « A “real” [programming] language is one that people who don’t want to learn anything new are already familiar with. »

  7. Chris, le

    Certes les époques passent et ne se ressemblent pas mais il y a quand même une constante dans tout ça : l’un des plus gros problèmes reste la compatibilité entre les navigateurs !
    Quand je m’écoute parler d’IE aujourd’hui, je me revois il y a 12 ans lorsque je parlais de Netscape … finalement ça n’a pas beaucoup changé !

  8. Houd, le

    Je t’aime ! Les 2 derniers paragraphes sont tellement vrais !

  9. Draeli, le

    J’ai vécu aussi les trois et je suis d’accord sur ton point et particulièrement concernant le renouvellement et la peur face à soi même.

    Après le coup du responsive design, je trouve que c’est une « mode » qui a tendance à m’agacer car on fait des sites pour répondre à 1-N besoins et ce n’est pas toujours souhaitable/voulu/possible d’adapter un design en ce sens.

    Par contre il y a une chose qui a mon avis mériterai d’être développé concernant l’évolution du métier d’intégrateur sur les trois générations, c’est le point de vu des employeurs et des équipes techniques qui évoluent autour de ce poste et le regard qu’elles portent sur ce métier qui à mon sens n’en est vraiment un que depuis une dizaine d’année.

    Point commun que je trouve entre les trois générations, ce p… d’Internet Explorer !!! J’espère simplement qu’avec la prochaine génération ces différences de comportements entre navigateurs tendront à s’aplanir.