Un projet à l’envers

Hier soir, le journal de 20H de France 2 a diffusé un reportage sur Woody Allen avec en fond, une citation qui lui était attribuée sur sa vision de la mort et « la vie à l’envers ». Je connaissais cette citation et je l’adorais, mais j’étais convaincu qu’elle était de l’excellent George Carlin. Après une recherche sur Google, il s’avère que cette citation vient en fait du comédien Sean Morey lors d’un passage au Tonight Show dans les années 1980.

Voici la citation en question :

La chose la plus injuste avec la vie, c’est la façon dont elle se termine. La vie est dure. Elle prends beaucoup de temps. Et qu’est-ce que vous avez à la fin ? La mort ! Qu’est-ce que c’est que ça, une récompense ? Je pense que le cycle de la vie est à l’envers.

Vous devriez mourir en premier, comme ça, c’est fait. Ensuite vous vivez dans une maison de retraite. Vous vous faites expluser quand vous êtes trop jeune. Vous récupérez une montre en or. Vous allez au travail. Vous travaillez quarante ans jusqu’à ce que vous soyez suffisamment jeune pour apprécier votre retraite. Vous vous droguez, vous buvez de l’alcool, vous faites la fête, et vous vous préparez pour aller au lycée. Vous allez au collège. Vous devenez un enfant, vous jouez, vous n’avez aucune responsabilités. Vous devenez un petit bébé, vous retournez dans l’utérus. Vous passez neuf mois à flotter dedans.

Et vous finissez en un orgasme !

J’ai toujours eu le sentiment que c’était un peu la même chose pour les sites web. Chaque mise en ligne, c’est un peu comme la mort du projet. Tout le monde a passé des mois et des mois à travailler d’arrache-pieds sur le projet. Six mois se sont écoulés. Et puis une fois en ligne, c’est terminé. On croise les doigts pour que tout ce qu’on a conçu fonctionne comme on l’espérait. On regarde un peu les statistiques les premiers jours. Et puis plus rien.

« Qu’est-ce que c’est que ça, une récompense ? » Je pense que le cycle de vie d’un projet web est à l’envers.

D’abord vous devriez commencer par mettre votre site en ligne, comme ça, c’est fait. Débrouillez vous pour installer un WordPress ou un Magento avec un thème par défaut, et insérez quelques contenus que vous aviez déjà rédigé sur un coin de table. Voilà. Nous sommes au premier jour de votre projet, et vous pouvez déjà commencer à gagner de l’argent avec votre site en ligne.

Maintenant que votre site est en ligne, vous allez pouvoir commencer à le concevoir. Mais pas en  regardant votre boule de cristal ou en déballant vos 5 ans d’études et tous les bouquins que vous avez lu sur la conception web (ça revient au même). Non, vous allez pouvoir concevoir votre site à partir de vraies données, celles de vos visiteurs. Est-ce que les visiteurs trouvent facilement mes coordonnées ? Est-ce que les visiteurs arrivent facilement à ajouter un produit au panier ? Non ? Et bien commençons par travailler sur ces points.

Petit à petit, vous allez pouvoir améliorer la structure et le contenu de votre site. Vous pouvez en profiter pour améliorer le référencement naturel de votre site en affinant vos résultats jour après jour. Vous allez pouvoir retravailler l’intégration de votre site et sa charte graphique, toujours en vous basant sur les statistiques des premières visites et les axes à améliorer. Vous allez même découvrir des besoins de nouveaux modules à développer que vous n’auriez jamais imaginé au départ. Et tout cela en continuant à gagner de l’argent.

Six mois se sont écoulés. Votre site est en ligne depuis le premier jour. Vous avez déjà des clients, des visiteurs fidèles, et vous savez que votre site réponds à leurs besoins. Vous avez déjà gagné pas mal d’argent, et vous avez presque déjà rentabilisé votre investissement initial. Vous pouvez désormais sereinement envisager la suite et sabrer le champagne !

Alors, bien sûr, tout ceci est un peu tiré par les cheveux. Peu de projets sont adaptés pour travailler ainsi, et peu de clients seraient prêts à prendre le risque d’avoir un site en ligne au premier jour qui ne colle pas à leur idéal. Mais pourtant, je suis persuadé que cette méthodologie serait parfaitement adaptée au web.

  1. 0gust1, le

    Ah, mais en fait tu viens de décrire un projet «Agile» ou «Lean» idéal. J’aime bien ces approches (même si pas toujours facilement applicables).
    Si ces idées vous parlent, essayez de lire « Scrum and XP from the Trenches » et « The Lean Startup » (il y a un bouquin aussi), si vous ne connaissez pas déjà.

    Mais pas en regardant votre boule de cristal ou en déballant vos 5 ans d’études et tous les bouquins que vous avez lu sur la conception web (ça revient au même).

    Je sens une pointe d’acidité, là… héhéhé :)

  2. Brunus, le

    Bonjour,
    J’ai déjà eu à faire un site sur ce modèle, dans le genre : « chéri fais moi un site web de vente en ligne pendant ton temps libre »…rien que ça…
    S’était le seul modèle de développement que je pouvais me permettre d’adopter dans des conditions extrême de température et de pression ! ;-)
    Et je suis d’accord, c’est parfaitement acceptable du point de vu de l’intégrateur, et même du coté client pour peu que ce dernier se satisfasse de son logo et d’un design sobre qu’il n’a pas commandé à un designer.
    Mais ce n’est pas un truc à faire avec un CMS ou un logiciel qu’on ne connaît pas déjà très bien !

  3. jb, le

    rahhh mais tellement d’accord!

  4. bruno bichet, le

    C’est exactement ce à quoi je pense quand je parle de design dans le navigateur, mais je n’avais jamais songé à l’expliquer avec cette métaphore. Bravo et merci !

  5. al.jes, le

    C’est un peu comme ça que j’ai fait le site de mon collectif. Quand on a commencé à envisager de se regrouper pour créer nos œuvres, j’ai mis en ligne une simple page web avec un texte du genre « Vous trouverez bientôt ici le site des Geeky Goblin Productions. Mais pas tout de suite. On a d’autres chose à faire que le site. Et j’ai la flemme. » C’était la version 0.0.

    La version 0.1 était une page avec mes premières idées d’apparence, un « Bientôt » en page d’accueil, quelques infos sur nous et c’est tout. On n’avait pas encore d’œuvres publiables. On ne savait même pas si l’on serait une association ou une société coopérative.

    La version 0.2 était un fiasco visuel mais a vu apparaître nos tout premiers textes et une réorganisation de notre présentation. On avait choisi d’être une association, écrit nos statuts et une vision un peu plus claire de l’avenir.

    La version 0.3 avait presque l’apparence actuelle (qui, je pense, est une réussite, même si bien évidemment grandement améliorable), plus de nouveaux contenus publiés.

    La version 0.4 (l’actuelle) fut un travail sur l’accessibilité, accompagné de quelques retouches cosmétiques.

    Je prépare une version 0.5, qui touche aux finitions et pour laquelle il y aura de nouveaux textes. Quelque-part cette version m’ennuie. C’était plus marrant quand tout était à faire.

    Conclusion : on peut tout à fait avoir cette approche sans passer par un CMS. C’est tellement plus drôle avec du code fait main !

    PS : pour les curieux, j’ai mis le site des GGP en lien au lieu du mien. Ça vous donnera une idée du résultat ;)